Le Temple Pieds Nus

La porte de fer forgé et de bois massif claque lourdement. L’air chaud, les senteurs de basilic lui saisissent le visage et les narines. Avec satisfaction, elle dépose son berimbau contre le fauteuil de roseau tressé et ouvre sa parka surdimensionnée, mais étanche. Enfin ! elle respire. Elle s’étire longuement, observant entre deux larges mouvements de bras les affiches, les écriteaux apposés sur les murs blancs et tordus dans une cohabitation anarchique improbable. Ses semelles humides rencontrent la mollesse usée d’un tapis aux arabesques dansantes et muettes. Le temple est encore vide et silencieux. Elle s’en félicite, sereine à l’idée de s’échauffer et de peupler l’espace à son rythme. Tim tim dom dom*. Pieds nus, elle sent l’énergie affluer du sacrum aux cervicales. Dans un même mouvement, elle attrape l’instrument et, par l’escalier au bois grinçant, se précipite à l’étage .

A.S.

 

*Se prononce « djin djin dong dong »

Les boules réfléchissantes pendues au sapin – p.2

Dans la fleur de Lotus
Une noix de coco

Des boucles de cheveux
aux bouts des doigts
Les milles-et-deux effluves
la première fois

Dans la fleur de Lotus
Une noix de coco

De solide à liquide
il faut la transformer
Puis l’huile miraculeuse
peut faire son effet

Dans la fleur de Lotus
Une noix de coco

Ô Miracle ! Ô baume céleste !
Je me sens comme une fleur de Lotus
à la noix de coco

Les boules réfléchissantes pendues au sapin – p.1

ouvrir
refermer
.
Que trouver dans les boîtes ?
un brin de fantaisie
l'accord des couleurs
le murmure des mots
.
ouvrir 
refermer
.
Que mettre dans cette boîte ?
un précieux 
le chant des gri-gris inutiles
nos renouveaux
.
ouvrir
refermer
.
Que savoir de la boîte ?
espace modulable
qui traverse le temps 
à la charnière entre deux états
.
ouvrir
refermer
.
Pourquoi se servir des boîtes ?
mettre de côté 
cacher
oublier                   puis
                          retrouver
un pendentif
un message
une pensée
.
ouvrir
refermer
.

Visuel

Trouble : Ces deux corps presque immobiles, et l’espace mouvant autour d’eux. Des mains qui se suivent sur le sol, l’arc des jambes et, au ralenti, l’apesanteur.

Place

et un instant,

c’est l’envol.

Et là les émotions tiennent debout, elles se succèdent à chaque image. Et moi, je regarde, ébahie, en tirant sur la corde pour les voir défiler à travers le trou bleu du tableau :

Ensuite, la mémoire est passée. Les belles choses, les moments magnétiques vont dans une valise, elle-même expressément rangée au grenier – sous la poitrine (parfois, si cela heurte, c’est parce que les étoiles, en s’échappant, forment des étincelles) ; Mon premier réflexe est de changer de décor de théâtre.

En ce qui me concerne, il est deux : Extérieur et Intérieur.

  • L’extérieur : Transformer vingt-cinq mètres de carrés de dalles onduleuses en lieu d’entraînement pour le mouvement et l’expression. S’exercer à tendre les bras et regarder le monde à l’envers, trouver la localisation des reins et l’équilibre, réussir les configurations et les remplissages de l’espace improbables. Sentir quand on est en haut à quel point c’est léger.
  • L’intérieur : Une fois au fond du Trou Bleu, on a une idée assez précise de ce à quoi l’on aspire. On sait ce qu’on veut être et donc ce que l’on veut connaître pour ce faire. Aussi, atteindre nos envies, nos « nous », c’est alimenter les multiples voies qui s’écoulent vers le Lieu des Savoirs en Expansion. En d’autres mots, s’inspirer, jouer et travailler, collectionner les frissons, les projections, les rêves des autres pour imaginer ceux que nous serons demain.

PS : Tout ça pour dire que, j’avais remarqué, les marques du sérieux qui s’installent, entre les sourcils et sous la langue, comme la sècheresse. Il suffit de prendre un seau, tendre le bras et aller puiser l’inspiration …

PS n°2 : Pour résumer, quelques définitions du Diconnaissance (édition Again) :

  • Trouble : Deux corps presque immobiles, et l’espace qui se meuve autour d’eux.
  • Décor de théâtre : Unique, il appartient à chacun. Prenons-en soin, « Nous jouons notre vie au théâtre » (Jean-Paul Alègre).
  • Moments magnétiques : Rares, frileux mais accessibles. Se déplacent en colonies d’une source d’émerveillement à une autre.
  • Dalles onduleuses : Collines familières milles fois entrevues.
  • A l’envers : Sens de la vie chez les quadripodes renversés.
  • Lieu des Savoirs en Expansion : Bibliothèque de la Maison de l’Ailleurs plantée sur la Grande Dévoreuse, plaine d’herbe grasse située à peu près nulle part.
  • Marques du sérieux : symptôme d’un fléau agissant sur l’esprit. En cas de contagion, arroser abondamment.
  • Le Trou Bleu : Un mystère.

Micro-serre

Alors, j’ignore encore comment ce titre s’est retrouvé dans les brouillons de ce monde parallèle. C’est un jeu, en fait : savoir donner la bonne trajectoire au papier froissé pour qu’il nous revienne dans les mains, en différé.

Actuellement, il y a cette chose dans mon ventre qui prend toute la place. C’est une boule magique : à l’intérieur, des ombres spectrales qui font plus de peur que de mal. Pour ne pas les percevoir, je plante des graines, j’arrose, ça pousse. Lentement.

C’est l’histoire rapide de la micro-serre : On cultive son jardin, ça aide à se sentir chez soi.

Remerciements : Cherpa, son humour du téléphone et les bières belges.

Suite pour une retenue et son liquide (1)

Alors d’abord, tremper tes mains dans le bocal : un gros bocal plein d’écume qui s’emmêle. Plonger progressivement, les poignets, le niveau d’eau qui s’élève comme le mercure d’un thermomètre à colonne, les plis des coudes, faire remonter la sensation de froid jusque sous les oreilles. Et quand tu es sûr que tu tiens tout entier (oui c’est bon on y est je rentre oui non les angles évidemment c’est une question de incertitude de euh insertion mais si mais si), tu expires. Inspires. Et tout en expirant très lentement te laisses couler, profondément profondément.

Vertigineuse écume.

Tu poses le pied sur le sol et la sensation de déséquilibre revient à marée basse. Pourtant ce sont les carreaux que tu connais bien, ils organisent ton espace depuis trois années de vie au 6ème étage.  Mais ton esprit est ailleurs, en déconnexion avec les nuages bien-pensants, en réflexion sur les vagues cristallines. Assis sur le ponton.

Marseille, vendredi 30 mars 2018.

L’arrière du bateau se trouve à des kilomètres du quai. L’espace pour l’atteindre fléchit quand tu décides de le survoler. Un saut, des battements affolés et des ailes en pagailles plus tard, tu es de l’autre côté. Sur l’eau. Le sol s’échappe sous tes pieds. Ton esprit glisse et, toi aussi, tu roules pour le récupérer. Tu apprends très vite une chose : l’équilibre est question de mouvement, de pondération.

Toute une cargaison est prévue pour remplir les placards. L’équipage s’active dans les allées et venues chargées de sacs, de courses, de choses nécessaires ou seulement utiles. Tu te fonds dans le rythme, tel un maillon d’une chaîne de victuailles. Il fait bon le ciel est bleu.

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Nuit. Vous tartinez les trottoirs à la recherche d’un trésor pour vous estomacs. Il te semble qu’à cette heure le port est un enchaînement de bars-atmosphères. Vous vous engagez dans un pub irlandais où deux bouledogues de la sécurité toisent les consommateurs d’un œil sévère.

Samedi matin.

Sacs de couchage froissés au milieu du bateau. Les Premiers-Debout se sont donnés pour mission les tartines et les bols de thé. Tandis que, abruptement chut de ses songes, le reste de l’équipage vient peu à peu remplir le pont arrière, les oreilles de l’ampli déversent le rythme énergique d’un début de journée exaltant. Les basses font tressauter la baffle sur les deux pans de la table repliée. Réveil au soleil.

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Rapide briefing sur le ponton. Les deux skippers – un pour chaque bateau – vous expliquent : le matériel, les positions face au vent, les manœuvres, la géographie, les Calanques. Une photo de groupe plus tard, c’est déjà l’heure de partir.

Quand vous levez des voiles, les claquements polyphoniques des écoutes contre les mâts s’estompent derrière vous. Puis c’est au tour de Marseille de se recroqueviller sur l’horizon. Vous ne faites déjà plus parti de la terre. Ne vous reste plus qu’à observer ces amas solides de roches surgis de l’eau, comme autant de petites îles soupoudrées au large de cette côte méditerranéenne.

La mer claque sur la coque, transmettant ses ondes bienveillantes. Tu respires avec satisfaction cette sensation de balancier. Ne retient plus ton corps, l’abandonne.

Direction Cassis, regroupement de maisons au bord de l’eau, glissé entre les calanques et ces falaises sédimentaires dont la couleur a légué son nom au village.

Dimanche après-midi.

Tu es, comme chaque corps vivant, devenu une extension de la coque. Te déplacer d’un bord à l’autre est devenu un jeu. Ce que tu aimes : sauter, risquer l’instabilité, entrer dans la cabine en ne descendant l’escalier qu’à moitié.

Tu te demandes à quoi ressemblerait une existence de marin. Naviguer, c’est adapter son rythme de vie à la forme des vagues ?

Dimanche soir.

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Le carré est un point de rendez-vous. L’excitation est retombée en sieste disparate et unanime. Ceux qui restent se posent pour un instant privilégié de convivialité. Ils ont sorti les bouteilles en verre trouble et des verres indifférents. Il parait que cette bière est Corse. Vous discutez comme autour d’un café. Puis le groupe grossit, de quatre à dix-huit, les dormeurs en pull et en bonnet s’ajoutent aux canapés. La discussion prend de l’ampleur. Elle gonfle, se divise, forme d’autres petites discussions, on entend les impressions du week-end, le mal de mer, les pique-niques par-dessus bord, tenir la barre, la météo incertaine, les décisions de dernière minute, remplir le réservoir d’eau à Cassis, les balades vers les hauteurs, rester coincées par la marée montante, la pêche, les membres de l’équipage qu’on a appris à connaître, les imitations ponctuées de rires.

Lundi matin.

Le moteur démarre avant que tu n’aies atteint le point culminant de ton rêve et que tu ne chutes sur ta couchette. Ce matin, vous êtes un petit groupe à être partis pour une dernière excursion en mer. Les lignes de traîne dessinent des sillons à l’arrière du bateau. Le jour se lève à peine. Petit déjeuner madeleine. Vous passez près du Frioul et de ses mouettes observatrices postées sur leurs deux pattes. Plénitude face à l’eau qui glisse sous le bateau sans aucun effort. Une sensation de seuls au monde.

SD2 (87)